VIE ET MORT DU THAO

 

J'ai une bien triste nouvelle pour les adeptes de l'antre du Thao. Vous devez être au moins une cinquantaine à être passés par et dans mon studio de 26 m² où je sur-vis depuis 25 ans. 25 ans ! Alors vous devez être une bonne centaine si je compte aussi les invités de ma feu émission en direct-live dans mon antre aka YAKOI'SOIR ?

Venus ici, comme la bande de Juan Trip aka Jehan Basil qui avait joué du rock psyché dans le petit studio avec ses dix zicos, chevelus bien chelous. C’était un bon moment. Et le chat était dans nos pattes, intrigué ou plutôt affolé par le son électrique psychédélique. Oui tout le monde du SDH a fatalement rencontré le Thao.
 
Il était magnifique le velu, un gros chat mi-angora mi-européen avec des yeux verts émeraude, éclatants et des pattes avant balaises, elles ressemblaient à des petits gants de box poilus. Il n'était pas sauvage le Thao, il fut au contraire très accueillant et généreux en paroles. Il promulguait chez nos invités, voyez-vous, le thaôisme aka le dudisme chez les chats. J'ai beaucoup appris en vivant avec cette bête. La capacité à rester stoïque face à l’adversité, aux emmerdements et le reste.
 
Le chat Thao a quitté le lieu sacré dans une boite en carton portée par erwanncreach véto d'urgence-artiste-globe trotter charmant, le même qui l'avait sauvé une nuit de ses problèmes de reins en 2010 ou récemment quand il avait chopé une pancréatite en 2018, ou une autre fois quand il m'a fait une crise d'épilepsie, scène terrible à laquelle j'avais assisté impuissant et dont je me souviendrai toujours. Ce fut un vrai supplice de voir le chat se contorsionner, son corps était parcouru de spasmes délirants. Une vraie scène d'horreur sans CGI. Du reste, j'étais allé sur le balcon - bien lâche ou me sentant dépassé par les contorsions de l’animal- en me disant que merde alors, c'était donc la fin du Thao…. Dix minutes plus tard, il bouffait du thon premier choix. 
 
 
J'envoyais à mon véto d'urgence une vidéo pour être sûr qu'il allait bien. Erwann me rassura mais ensuite, le chat dut prendre des médocs tous les soirs et il n'y a que moi qui réussissais à lui en donner avec une technique très experte : l'amour a parfois son besoin impérial d'efficacité, quitte à être dominant ou brusque. Mater un matou demande du sang-froid, il peut vous envoyer un bon vieux coup de griffes et sa capacité à faire du raffut est impressionnante. Faut avoir les nerfs bien trempés pour ouvrir la gueule d'un gros chat et lui fourguer 2 pilules bien sèches dans le gosier. Ces comprimés coutaient une blinde comme ses visites à la clinique. En 20 ans d’existence ce chat m'a coûté un an de loyer, j'en suis certain. A chaque prise experte du reste des comprimés bienfaiteurs, je l'embrassais fort sur le front. « Je t'ai emmerdé pour ton bien, petite peste mais c’est pour ton bien… et le mien ». Ça prenait juste quelques secondes. Mon geste était précis, chirurgical plein d'amour donc.
 
Mon chat avait 20 ans et 3 mois. Je l'avais eu grâce à Raf Wizzz aka Leafar Izen qui habitait près de Pyrénées et à l'époque j'avais chez lui mon bureau gratuit attitré dans le local de Parissi le site de la nuit parissienne. Son chat européen avait niqué sur les toits avec une chatte voisine angora et le petit Thao était né avec un magnifique poil et déjà, une petite carrure, le squelette trempé dans l'acier. Un champion était né, toutes catégories, surtout celle de la beauté je le répète, un bâtard de chat, un chat qui avait la classe de l'angora et la dureté rock'n roll post-punk de l'européen putain putain.
 
Je ne sais pas pour Dieu ou la mode mais il existe deux catégories de gens, sérieux... deux. Il y a ceux pour qui un chat est juste un chat, un truc poilu et puis une autre catégorie de personnes qui ressentent quelque chose de différent vis-à-vis des chats - idem pour les chiens, je ne veux pas jouer du snobisme félin. J'adore les chiens et celui de Timothée Rolin est trop cool. Son nom est Texto.
 
Revenons à mon Thao... Au départ, j'ai pris ce chat pour amorcer avec Aurore Victoire ma compagne de l'époque, un désir, un projet d'avoir un enfant j'imagine... La compagne partit vers un autre nid et je restai comme un con, avec un chat sans maman. Les années passèrent, les compagnes et les amours aussi mais il restait toujours ce chat. Fidèle au poste. Et je me disais qu'il n'y avait bien que lui pour me rester fidèle ou présent quand j'avais besoin de renforts et j'avais écrit ce petit poème de la douille :
 
 EN CAS DE COUPS DURS
 En cas de coups durs
Est-ce que tu seras là ?
Comme
Mon père
Ma mère
Mon frère
Et mon chat.
 
 
Le chat est mort le 28 juin 2023 aux alentours de 21h40. Il emporte avec lui autant de moments passés ici dans l'antre du Thao que d’amour entre un homme et un chat particulier. Je remercie Erwann de sa douceur, de sa disponibilité au bon moment et je salue au passage son talent et son activisme de dude multimédia. Il est écrivain, auteur, compositeur-interprète et il préfère les chieuses (titre de son dernier single). Et je remercie tous les amis, voisin-voisines qui m'ont aidé ces derniers temps à m'en occuper. Elise Lefèvre en particulier.
 
J’ai parlé à Thao avant l’éternel endormissement et à la toute fin des adieux - courts - j’ai sorti « mais putain mais je ne parle pas le chat moi !!! ». Non je ne parle pas le chat mais je vis comme un gros chat européen angora stoïque face à la connerie générale car en cas de coups durs, est-ce que l’humanité sera là ? Je n’en sais rien mais elle aura toujours besoin d’un animal de compagnie car ainsi que m’a dit mon père en parlant de son chat : « ce n’était pas un chat, c’était mon ami » .
 
PARIS le 1er juillet 2023