MÈMES PAS MAL par Guillaume Tabou

 
Th Th est un amour  
(Mèmes pas mal m’a littérairement troué le cul).  
À lire en écoutant « Je ne suis plus aimé » de Mustang

M'étant procuré sa trilogie auprès de l’auteur lui-même, je n’ai pas suivi son conseil sur l’ordre de lecture de ses trois brûlots. Je me suis jeté à cœur perdu et à mon corps défendant, à moins que ce ne soit l’inverse, sur Mèmes pas mal. Et j’ai eu mal. Mal d’amour sans aucun doute.

J’ai soufflé sur les braises et me suis immolé à la baise en lisant le Th Th qu’on aurait tout aussi bien pu appeler TF TF aka tout feu, tout flamme. Les feux de l’amour.

Il faut dire que je le suis depuis presque vingt ans, caché derrière mon verre (double Ricard ou Gin To sans trop de To), si bien que lors de notre récente rencontre IRL (comme disaient les jeunes il y a presque vingt ans), j’ai vite compris que je n’avais rien compris, ou du moins que sa fougue littéraire était sans commune mesure avec ses anciens et nouveaux happenings de crevards, son coaching en gatecrashing et sa phobie du temps qui passe. Ça se passait au Cannibale et je ne savais pas encore que son bouquin allait me bouffer tout cru.

Quel style ! Quelle claque ! Quels clicks ! Il se blesse, se donne et se déshabille jusqu’à ce que l’on aperçoive ses tripes en plein trip, ses os sans sac, sa douleur et sa peine irrémédiables et toujours optimistes. Son lyrisme, égrené de saillies et autres coups de gueule, son parti pris sincère, son rythme qui déboîte, sont autant de coups de soleil, de coups d’amour, de coups de « je t’aime », de coups de canif ou d’opinel qui m’ont brûlé et entaillé la peau, le cerveau et peut-être bien mon âme.

Lire, à l’expo Pétanque ! du Musée d’Histoire de Marseille, page 62, « je fuis l’ordinateur, j’écris sur bristol et joue à la pétanque » m’a conforté sur l’étendue poétique du Dude, qui tire et qui pointe en dépassant le cercle de lancer pour rappeler qu’il fixe toujours lui-même les règles du jeu, malgré le tragique « fuck my rules » dont il a fait sa devise. Quitte à se retrouver fanny ou, comme il l’évoque souvent, au « Club Med ».

D’ailleurs, il ne joue pas. Sauf à la pétanque donc, et au « jokari ». Le jokari, c’est sa langue qui virevolte, encule le coq et l’âne, pour mieux me revenir en pleine poire. Il se joue de la vie, bien remplie comme mon verre, à moins que ce ne soit l’inverse. À la pétanque comme dans l’écriture, il vise sans le dire le cochonnet, et bien sûr la cochonne. Il n’en a rien à carrer des carreaux. Ne lui parlez plus de Molkky, de molle qui… il attend la quille, la béquille, l’âme sœur en détresse.

Il n’a pas inventé la poésie, mais il l’a peut-être réinventée, régurgitée et spammée. Tel un Villon, foncièrement hétéro et fier de l’être, geek malgré lui, hype trasher rêche, empreint de nostalgie et traversant la démolition du monde et la déconstruction de l’individu, lui, en l’occurrence, ne nous parle finalement que d’amour. Ce poison violent, comme l’appelle l’un de ses chanteurs favoris. Bashung ne rôde pas très loin.

Thierry assume passer des 80’s aux 20’s avec pour seule quête essentielle et existentielle : l’amour. Ça fait mal et ça finit mal, mais il en parle tellement bien. Même si cela n’a pas toujours, comme il l’espère tant, le goût du kebab ou de la cyprine. L’amour n’aura jamais l’odeur de l’argent grâce à Thierry.

Il conchie toutes les postures et impostures pour nous rappeler qu’au-delà de la « douille », ce qui compte vraiment, c’est la femme aimée. Surtout si elle feint de ne pas vous aimer.

On est à contre-courant du slam lénifiant d’un corps malade à bout de souffle. Entre aphorismes obsédants et écriture autopornographique, son flow iconoclaste flambe le nihilisme, tel Robespierre cramant la statue de l’athéisme au Champ de Mars lors de la fête de l’Être suprême, qui vaut toutes les fêtes de la musique. Mèmes pas mal est trop spécial, et on évitera de dire « trop bien ». C’est un beau cadeau qu’il nous offre.

Pas de coups de pub chez Thierry. Il préfère se faire pomper au bal des pompiers, les autistes aux artistes, les plans gratos aux plans cul. Enfin, ça dépend du tempérament de la meuf. Et d’ailleurs, si ça se trouve, elle connaît le gars qui le fera rentrer en VIP avec sa flasque et son vieil opinel, opiniâtre et piquant, qui lui sert de stylo-plume aka les touches de son clavier.

Loin de tourner en boucle, il nous la boucle, nous retourne comme une crêpe au sarrasin, nous tord le cou comme celui d’Olivier Marleix, qui n’avait pas compris que le jeu du pendu consiste à chercher les mots. Comme l’amour, il ne ment pas et ne prétend pas avoir raison, puisqu’il l’a perdue bien avant de séjourner au « Club Med ».

J’en ai eu pour mon compte sans même être bourré en le lisant. Groggy dès les premières lignes, je lis et relis son œuvre, en sautant des pages et en retournant en arrière pour être certain de n’avoir rien manqué, à voix haute ou en chuchotant. J’ai trouvé la réponse sensorielle autonome culminante (ASMR), jamais cul-cul, toujours autonomiste et aux sensations paroxystiques. Elle s’appelle Mèmes pas mal.

À dada sur les situationnistes, il s’engouffre dans la « grande littérature » (Flaubert, Maupassant et Bukowski) et les « baise-sollers ou Zeller » à coups de serpette et de nunchaku, bien que j’aie la nette impression qu’il préfère, de loin, son vieil opinel.

Sa comédie humaine défonce les Rastignac branchouilles, cartonne les rebelles du même matériau et honnit les bien-pensants. Mèmes pas mâle ou Mèmes pas souffrant, il attend désespérément son Ewelina Hanska et lui clame ses sentiments bien profonds à chaque strophe.

Résistant aux clones, aux clowns et aux Claudettes des vernissages sans « OB », il nous emporte, nous inclut et nous recrache, même si on ne veut pas le suivre. Et surtout si on ne peut pas le suivre, alors que déjà on ne sait même pas par où le suivre, par où commencer, par où finir, quand il s’agit d’amour. Et je ne vous parle même pas de polylose.

Comme dit Blaise Cendrars : quand on aime, on quitte.
Quittez vos femmes et vos enfants et courez lire son livre.
N’oubliez pas de lui dire que vous l’aimez. Il croit en l’amour, et à en croire sa prose, c’est bien la seule chose qui le tient debout — ou à quatre pattes. Parce qu’au-delà des trahisons et de la « douille », c’est bien la seule chose qui nous reste dans ce monde matérialiste et digitalisé.

Guillaume Tabou