Mèmes Pas Mal par Mathieu Diebler

 
Non, Thé Hash n’a pas pris sa carte au Parti – même à celui de la Onzième Internationale des Travailleurs Joueurs de Pétanque – pas plus qu’il ne se soit mis à aimer l’ordre pour l’ordre et le désordre pour le désordre… Mais attention : ce qu’il envoie en spammant la littérature, proscrivant par le ridicule mais prescrivant ses découvertes, luttant contre la Pensée Unique, l’intolérance et le sectarisme, chaque jour, sur le groupe WhatsApp de la boucle du Syndicat du Hype qu’il a créé avec d’autres vieux lascars sans le sou et amateurs de belles et bonnes choses au tout début de ce siècle qui paraît déjà si vieux…

À l’époque de la création du mythique Syndicat, et en animant ce réseau depuis avec ce style inimitable pour un mec qui écrit détester le style – une des contradictions du bonhomme, très attachant par ailleurs –, il a habitué son noyau dur d’aficionados. Ceux-ci vont peut-être être décontenancés, au premier abord, par MPM, assez éloigné, à mon sens, dans la forme et même dans le fond, des spams de l’écrivain Thierry Théolier. Même si le Dudisme – qui est pour le moment la grande affaire de la vie philosophique de TH (faire de la philosophie, c’est inventer des concepts) – irrigue Mèmes Pas Mal. Ou c’est plutôt l’inverse : Mèmes Pas Mal n’est pas un recueil de chroniques, et en entrant dans le cercueil dans lequel Té Hâche hache menu pour que le sang gicle et qu’il s’en nourrisse et se régénère, on doit savoir et accepter qu’on ne sera pas plus fixé sur l’étiquette à coller sur le produit au bout de deux – non, trois maintenant – lectures…

Car ce n’est ni un recueil, ni un récit, ni un roman : c’est tout cela et c’est rien de cela. C’est étrange et c’est jubilatoire. C’est bon de rire un peu, d’un beau rire sombre, entre sinistres punks presque quinquas pour les plus jeunes d’entre nous et presque sexas – ils vous diront « sexo » avec leur humour de mecs de soixante piges… – et surtout de gars du SDH – P.I.G / Enculés.

 
Et pour cause : si tout cela était possible, MPM serait un produit comme tous les autres. Or MPM est un produit comme un bulletin de vote pour le Parti des Travailleurs, qui prône la Dictature du Prolétariat, est une expression démocratique. Mais ce n’est qu’en faisant ce choix que vous comprendrez pourquoi il est plus impossible de coller un tampon Approved by et/ou d’apposer sur la couverture un sticker avec le pitch du texte que d’acheter un gramme de poudre à Donnie le Nobel de la Mèche dans Le Monde, avant que la mèche ne se fasse paix puis redevienne inflammable, soit allumée par un maladroit – et le monde en serait encore plus effrayant. Si c’est possible.

Mèmes Pas Mal m’a sauvé comme Omar l’avait pas tuer, ou peut-être bien que si. Bref, Mèmes Pas Mal est un manuel de survie en milieu plus hostile tu meurs même pas, car tu es armé par MPM alors que le pays est corseté dans l’exigence de pureté absurde de la populace, qui finit par empêcher toute parole libre en réalité. MPM raconte des fragments de la vie d’un spécialiste de la douille ès qualités de grand amoureux et de grand douilleur en proportion, à la première personne, avec une pudeur extrême de condamné à la réclusion à la douille à perpétuité. Alors MPM, dans une période de ma vie d’une difficulté excessive – et j’en ai connu d’autres, des périodes comme celle-ci, mais celle-là est carabinée, je vous assure – MPM m’a réjoui. C’est un paquet de bonbecs avec des blagues autour. Plus qu’un manifeste, ce sont des idées qui clignotent comme des étoiles, ce sont des jeux de mots qui sonnent et qui donnent le le et le la à la fanfare…

Ces morceaux de vie, à l’écriture fluide, simple, directe, drôle et plongés dans l’autodérision en permanence, ciselée, chaque mot a sa place, chaque mot a son rôle, son son, ses cinq sens – et l’on n’en trouve pas à enlever, jeu auquel je m’astreins presque toujours. Ces fragments, montés avec des poèmes qui tuent, c’est l’idée qu’on se fait d’un poème d’avant-garde : c’est-à-dire un poème qui invente au fur et à mesure de l’œuvre une langue propre mais une langue simple, pas une langue bourgeoise. Une langue de la rue, une langue parlée. La poésie en langue parlée aboutit à des résultats formidables en prose, au fond ce que faisait Céline de façon excellente et dont je ne suis jamais revenu : ce Voyage au bout de la nuit.

Paquet de bonbons, de biscuits entourés d’une idée, d’une punchline, d’un poème de la douille, d’une méthode de lutte passive pour ne pas que la douille vous tue ou quelque chose comme ça… On s’attend à trouver la recette du Général Molotov (1/3 copeaux de savon de Marseille, 2/3 essence), genre de nouvelle méthode pour essayer de survivre à ce monde, se balader dans ce pays rance qui crève de sa peur et de son hypocrisie. Si vous saviez comme il nous fait peur, à nous, les neuro-dissidents Nique Ta Mère et Je Baise Ta Reusse, ce pays qui a peur de ses propres enfants, ce pays qui, comme partout en Occident, bascule dans la haine de tout ce qui n’est pas soi, de tout ce qui n’est pas « normal », de tout ce qui n’est pas « malade », le populisme et la pensée binaire… Parce qu’on vend un « narratif » de mes couilles aux populations de plus en plus paupérisées, disant qu’elles vont se faire tailler les oreilles au poignard de chasse comme le font les meilleurs contractors à la génétique croisée DZMafia-BernardArnault-Mediawan-Lacoste-Fianso, qui nous tétanise. MPM nous en fait tirer des rires immenses et dérisoires, toujours et par nécessité de ne surtout pas se prendre au sérieux mais de faire avec sérieux des choses qui ne le sont pas, rire de soi avant de rire de l’autre, s’aimer soi avant de pouvoir aimer l’autre.

MPM lâche des clés dans les textes articulés de façon hyper-fluide, comme circuler en Tesla comme on en rêve la nuit en traçant sa race dans l’entrelacs d’autoroutes et son plan géométrique d’une gigapole nord-américaine, sans faire un bruit, jusqu’à trouver un couple qui s’embrasse, pour faire arrêter le tacot et demander au chauffeur d’attendre le temps que vous alliez, à votre tour, embrasser les mariés et pleurer, pleurer, pleurer.

Car le ricanement, le mauvais esprit salutaire dans la période de glaciation morale actuelle, les jeux de mots d’une poésie touchante, d’une finesse telle font résonner MPM en moi de beaucoup de manières ces temps-ci, comme il vous atteindra plein cœur de cible, dans le X100. (NDLR : Aux fléchettes quand le joueur touche le cœur il peut faire fois 100 sa mise). Mais si vous cherchez une sorte de livre de chevet où picorer n’importe quelle pensée légère ou très sombre mais toujours intelligente, voire brillante : l’amour, l’amour de l’amour, la félicité d’être amoureux, la douille… Le schéma se répète souvent, mais ce n’est pas grave, car c’est la vie qui imite ce schéma et pas TH qui imite la vie.

Alors, on finit avec lui un peu ragaillardi, un peu consolé malgré tout – et en tout cas plus que le pauvre Stig Dagerman (NDLR : auteur de Notre pouvoir de consolation est impossible à rassasier) dont le texte, néanmoins superbe, reste à lire – et pourquoi pas à chérir – pour sa beauté plus que pour son désespoir. Le non-alignement anti-gaulliste, l’humour ravageur, l’absence de morale qui guiderait une religion sont salvateurs en cette période de censure extrême, et permettent d’arrêter de chialer devant le drame du monde qui a décidé de se comporter comme un vulgaire fumeur de crack : religions, politiques, humaines, humains, veaux, vaches, cochons d’Inde ou d’ailleurs, perroquets et grandes gueules végétales, papaver somniferum (NDLR : pavot dont on tire l’opium) pour calmer le jeu… Mais grosso modo le Monde est en Mode R.A.F (Rien À Foutre) pour un moment.

Et comme en ce cas c’est le Monde qui déclare la guerre et la douille, cultiver le Dudisme tel que nous le présente Thierry – mais sans nous enjoindre à l’imiter – paraît être la plus intelligente et la plus fun des façons de résister. Lui le fait, et ça le comble. Mais jamais il ne vous demande de le rejoindre. Jamais. Il vous explique comment il fait, lui. Car TH n’est pas un gourou et ceux qui le traiteraient comme tel auraient bien tort et le regretteraient. Kill Your Idols, Baby, TH ne les aime pas, les imitateurs.

Cherchez votre voie, mais n’oubliez pas le silence, le son des éléments, les cris des animaux, tout cela… et lisez MPM : un poème en prose de cent pages sur la douille – concept théoliste à la base de celui de Dudisme – dont MPM dit la puissance du désespoir absolu qu’elle constitue et qui a tant fait écho chez le rédacteur de cette présente tentative de coup de fard à la paupière qui se referme sur l’image du monde martyr des hommes et s’en éloigne le plus possible en terre de Dudisme. Que je définirais par le fait de mener une vie de dude pour transformer le vide de la douille en plein d’amour et de joie. Mais ne soyez pas stupides : ne vous attendez pas à un Manifeste du Parti Dudiste. Le Dudisme est une stratégie pour survivre à la douille.

p.52 

« les arabes ont inventé
l'alphabet
les chinois
les feux d'artifice
et les dudes
le jokari »

Capisce ?

Enfin, je devance : la femme, sujet d’amour et donc de douille… Pas connu de plus grand amoureux que Thierry. Dans toutes les vies qui constituent son karma, et dans toutes les histoires d’amour qu’il y vivra, je suis certain qu’aucune ne se terminera par des coups et des blessures masculins. Mais le Dudisme n’est pas un combat politique et ne l’a jamais été. Donc la libération de la femme ne fait pas partie du projet du Dudisme, j’imagine. En revanche, bien traiter une femme va de soi pour un dude digne de ce nom. Hé les filles, envoyez vos noms, numéros et photos. Des salopards, on s’en occupera. Mèmes Pas Mal.

Mathieu DIEBLER
Rouen – Mercredi 20/08/25
Auteur de La Vive Allure
Prix Technikart du Manuscrit au Salon du Livre 2010
Co-fondateur du Cercle Pan!
 
 
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